PRINCE, mon chien d'assistanceJuillet 2009. Les enquêtrices de l’association Stéphane Lamart ont été alertées par des voisins. Dans la cour d’un vieil immeuble du 93 vivent des chiens, malinois et bergers allemands. Certains sont attachés, d’autres en cages, dans lesquelles ils ne peuvent à peine se mouvoir. Les animaux sont battus tous les jours.
Quand elles arrivent sur place les deux bénévoles sortent leur lecteur de puce. Le jeune BA attaché à une camionnette par une chaine de 20 cm de long n’est pas identifié. Les deux chiennes en cage, par contre, le sont. Impossible de les sortir de là sans un constat de police. Le « maître » arrive. Il est agressif, mais il en faut plus pour impressionner les enquêtrices. C’est un vigile, il refuse de céder ses chiennes. Les bénévoles repartent avec le jeune BA et emportent des documents qu’elles ont trouvés chez le type. Elles viennent de mettre à jour un trafic de chiens. Il y a là des dizaines de passeports et certificats de naissance falsifiés. Quand elles reviennent le lendemain avec la police, le type et les chiennes ont disparu. Seul, Prince (c’est ainsi qu’elles décident de l’appeler), le jeune BA, a pu être sauvé.
Prince passe un mois en pension puis je vais le chercher en TGV. Je suis très déçue. Je voulais un REX, j’ai une « petite crevure ». Il a les pattes couvertes de cicatrices, probablement des morsures, comme s’il avait servi d’appât pour les combats de chiens. Il est minuscule, un petit squelette sur pattes. Il est terrorisé, mais tellement fluet qu’il est facile à maîtriser même dans une gare aux heures d’affluence. Lorsque que nous arrivons à la maison, il se met immédiatement à jouer avec Rina, ma beauceronne atteinte de la maladie Cushing. Il se montre amical avec le vieil 0’Maley. Maya, la bouvière, menace de le pulvériser. Il s’en f…, il respecte les vieux. Il a manifestement tous les codes canins. J’en profite pour lui présenter notre chatte, Jenifer. Mon fils de 13 ans est horrifié de l’état de ce jeune chien avec qui il veut jouer au foot et qui a peur dès qu’il shoote dans un ballon… De toute façon, il a peur de tout, des objets qui peuvent frapper un chien (je n’imaginais pas qu’ils étaient aussi nombreux !), des humains de toute origine, de tout sexe, des arbres, des lacs et rivières et.. des camionnettes blanches. Il refuse avec énergie de descendre dans un sous-sol… Sa vie passée est malheureusement facile à reconstituer. Vendu, rendu, prêté à de pseudo-maîtres chiens pour de la « sécurité » et toujours attaché, enfermé et battu.
Présentation au chat de la maison
Durant tout l’été et l’automne 2009, je vais le promener partout, en ville, en campagne, en montagne, très vite je peux le lâcher. Il me suit. En 4 mois, il grandit, se muscle, devient magnifique. Il pesait 22 kg quand les bénévoles l’ont sorti de galère, au bout d’un an, il pèsera 38 kg de muscles. Il est plus petit qu’un BA, probablement croisé malinois. Des types dans la rue me demandent de quel élevage il vient, d’autres veulent me l’acheter !
Il y a peu de temps que j’ai arrêté les traitements pour ce maudit cancer. J’ai encore des séquelles des traitements. Le bras droit handicapé et, surtout, une faiblesse musculaire qui fait que si je butte sur quelque chose, mes muscles ne répondent plus et je me retrouve par terre. Au début Prince est étonné. Je tends la main pour qu’il m’aide à me relever. Il a peur et s’enfuit. Puis, un jour, il accepte de m’aider. Prince vient de se découvrir une mission. Il sera mon chien d’assistance. Je vais m’enhardir dans nos promenades et, moi aussi, je vais guérir, reprendre la forme, me muscler et me sentir en sécurité. Je suis perdue au milieu de nulle part ? j’appelle Prince et il m’ouvre le chemin pour retrouver la voiture. Une montée difficile ? Je mets Prince en laisse et il me tire. Je me retrouve par terre ? Prince arrive, je m’accroche à ses poils et je me relève !
Et les ennuis commencent. Il est heureux, c’est évident, mais il a peur que cela ne dure pas. Il voit des méchants partout, des méchants qui risquent de l’emmener loin de son petit paradis. Il devient agressif avec les gens qui veulent le caresser et pince à plusieurs reprises des copains de mon fils. Il va finir en fourrière en délai mordeur. Je ne vais pas y arriver toute seule. Je me mets à la recherche d’un éducateur canin.
J. est une jeune femme qui s’est installée il y a peu. Je pense qu’avec une femme, Prince sera plus à l’aise. Sauf que le jour le l’évaluation, il y a un homme, le compagnon de l’éducatrice, maître-chien (un vrai celui-là) en Suisse où les méthodes sont plus douces qu’en France. Ca me rassure.
Janvier 2010 - Cours individuel - Le magnifique regard sur lequel j'avais flashé...
Je vais devoir remettre en question tout ce que je croyais faire juste. Si mon chien se comporte mal, c’est que je fais faux. Les deux éducateurs vont rééduquer le chien, mais aussi sa maîtresse ! D’abord, J., l’éducatrice, m’interdit de caresser Prince quand il a peur. « Ca fait l’effet contraire, ça renforce son angoisse ». Et je prends dans la figure la théorie sur le renforcement positif (négatif en l’occurrence). Quand on parle gentiment et/ou qu’on caresse un chien qui a peur, c’est comme si on lui disait « je te félicite, c’est exactement le comportement que j’attends de toi, tu as bien raison d’avoir peur » ! Alors, on fait quoi ? Ben on fait rien justement ! On traite la peur par le mépris. Facile à dire. C’est difficile pour moi de ne pas rassurer à la voix ou à la caresse mon chien quand il a peur….
Ensuite, les éducateurs, qui connaissent bien les bergers allemands, m’indiquent que ce sont des chiens qui vocalisent beaucoup. Lorsque Prince « grogne », ce n’est pas forcément agressif, il se peut qu’il « parle » tout simplement. Ca signifie qu’il ressent une émotion, positive ou négative.
Il ne veut pas avancer parce qu’il a peur ? Il ne faut pas le tirer. Il faut reculer, cela le fera revenir vers nous. Ensuite on repart. Il faut laisser du mou dans la laisse et regarder droit devant soi, marcher d’un pas assuré, avoir confiance pour lui donner confiance, etc. etc… Ils m’énervent, ces deux jeunes éducateurs qui pourraient être mes enfants, ils m’énervent parce qu’ils ont raison et que la vieille qui se croyait pleine d’expérience canine en prend pour son grade !
Passage du CSAU – Regarder droit devant soi…
Prince va faire une dizaine de cours individuels puis passer en cours collectifs. Il a une peur bleue non pas des chiens, mais de leurs maîtres, particulièrement lorsqu’ils ont un BA, un malinois ou un chien catégorisé. Tout ce qui était acquis en cours individuel est à retravailler. Il faudra 6 mois pour que Prince se sente enfin à l’aise. J’ai maintenant un super chien, à l’écoute, qui marche au pied en laisse et sans laisse, fait des couchers en l’absence du maître, a un rappel impeccable. Un vrai bonheur.
Agility avec son éducateur
Coucher en l’absence du maître
Et vous croyez que tout va bien ? Et bien non ! Prince vient de faire une découverte qui va changer sa vie mais le rendre quelques temps insupportable en cours :
il avait peur des gens qui avait peur de lui, il les percevait comme agressifs. Il vient de comprendre qu’il avait tout faux. C’est lui qui fait peur aux gens. Génial ! Lorsque nous faisons un slalom entre les maîtres et leurs chiens, il colle exprès les maîtres qui ont peur de lui pour leur flanquer la trouille. Dans les rappels il dévie imperceptiblement vers les maîtres qui ont peur. Il faudra que F. le maître-chien m’aide. En fait, une fois de plus, c’est de ma faute. J’ai tellement peur qu’il finisse par pincer un chien ou un humain que je suis centrée là-dessus, alors que je dois faire le vide et rester centrée sur MON chien, ne pensez qu’à lui. Dès que je jette un coup d’œil à un maître trouillard, c’est comme si j’indiquais à mon chien qu’il doit l’embêter ! En quelques semaines, le problème est réglé. Prince n’aura plus jamais peur des gens qui ont peur de lui et il ne cherchera plus à en profiter pour les terroriser.
Il avait aussi peur des gens qui le trouvaient beau ou qui admiraient son travail, ils étaient trop gentils pour être honnêtes, sûr qu’ils voulaient l’emmener ! Il vient de comprendre que personne ne veut l’emmener mais que, c’est lui qui produit cet effet. Il se met à rouler les mécaniques et progresse à vitesse grand V. Il offre à ses admirateurs le spectacle d’un champion d’obéissance. J’ai beau expliquer aux gens qu’il n’est pas aussi discipliné dans la vraie vie, personne ne veut me croire, Prince joue les stars ! C’est une magnifique carte de visite pour ses éducateurs. Ce comportement persiste. Alors qu’il a aujourd’hui 11 ans et est perclus d’arthrose, dès qu’il a un public, il se redresse et fait le show comme s’il avait 8 ans de moins !
Un mot encore sur un comportement qui ne s’est jamais amélioré. S’il fait une bêtise et que je suis fâchée, Prince se jette au sol en position fœtale, comme si j’allais le frapper. Evidemment, je ne l’ai jamais frappé. C’est un comportement qui m’agace particulièrement quand il le fait en public. Avec le recul, car il a eu ensuite plusieurs chiens en FA et adoptés, je me suis aperçue que les chiens reproduisent le comportement qui nous a particulièrement ému lorsqu’ils sont arrivés chez nous. On nous bassine avec les fameux « signes d’apaisement ». En fait, lorsque nous sommes fâchés, ils nous servent le comportement qui nous a fait craquer au début. Quand Prince se jette au sol comme un chien battu, il cherche à apaiser ma mauvaise humeur et me ramener vers de meilleurs sentiments...
Voilà, j’ai mon (REX) PRINCE ! Et ce qu’il est devenu dépasse mes espérances. Pourquoi ne pas en secourir un autre ? En 2010, je me mets à la recherche, sur fameux forum, d’une bergère allemande à adopter. Et… j’avais un pied dans la PA, je vais m’y engloutir tout entière jusqu’à l’écœurement pour certaines pratiques !